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La cuisine romaine : petite histoire

Pour s'informer sur la cuisine romaine, il n’y a hélas que peu de sources qui nous sont parvenues puisque nous n’avons conservé qu’un ouvrage complet de cuisine romaine, le "De re coquinaria" (ouvrage encore disponible en librairie) d’Apicius, le plus célèbre cuisiner romain, si l’on excepte quelques recettes transmises par Caton comme des bouillies et des petits pains au fromage, qui ressemblent plus à des croquants salés.

Né en 25 avant J.C., Marcus Gavius Apicius a vécu sous le règne de l'Empereur Tibère et était son cuisinier officiel. Il a surtout fréquenté son fils Drusus dont il est dit qu’il était son mignon. Extravagant, gourmet, débauché, viveur, il a été largement condamné par ses contemporains, en particulier, on le verra plus bas, par les stoïciens mais aussi par les premiers chrétiens qui jugeaient sa cuisine presque comme un acte de barbarie. Cela n’empêche pas qu'à l'époque de l'écrivain chrétien Tertullien, à la fin du second siècle après J.C., on parle encore d’un " apicius " pour désigner un cuisinier. Trois siècles après sa mort, il avait donc encore des émules et il reste pour nous celui qui a crée la première codification de la cuisine romaine.

En plus d'Apicius existe Varron, auteur d’une véritable encyclopédie au Ier siècle avant J.C. et Columelle, auteur d’un traité d’agronomie qui nous ont aussi laissé quelques recettes mais rien qui reflète l’ensemble de la gastronomie romaine.

Alors c'est vers les sources grecques qu'il faut se tourner pour obtenir de plus amples informations. Nous sommes en effet bien mieux renseignés sur eux et, puisqu'ils ont largement inspirés leurs voisins, nous avons davantage de connaissances culinaires portant sur un ensemble plus large de plats et d'ingrédients.

C'est ainsi que parmi les différents traités de cuisine, nous avons conservé par exemple "Des Poissons" de Dorion, "L’Art du boulanger" de Chrysippe de Tyane ou "Des Gâteaux" d’Iatroclés et de Mendés et même des ouvrages de cuisine diététique écrits par des médecins antiques comme le "De La Nourriture des gens bien portants" d’Acron d’Agrigente.

L'archéologie enfin peut nous apporter quelques compléments de connaissances. Lors de fouilles, les archéologues trouvent dans les dépotoirs (poubelle en plein air) jouxtant les villa des restes de graines ou des ossements. S'ajoute également une analyse des peintures murales ou des mosaïques décoratives sur les murs intérieurs des villas qui nous informent sur les composants des principaux plats de l'époque.

La littérature culinaire romaine est tardive car la cuisine n’a commencé à être " tenue pour un art " (Tite-Live) qu’à partir du IIIe siècle avant J.C., époque à laquelle les administrateurs et officiers romains ramenèrent de leurs expéditions en Grèce et en Asie le goût des bons petits plats. Avant cette époque, les latins se nourrissaient vraisemblablement de plats peu exaltants comme des bouillies ou des quenelles sans grande audace. L'utilisation des céréales étaient particulièrement fréquente (orge, blé) et constituaient sous la République ( Ve au Ier avant JC) une partie essentielle de la cuisine romaine. C'est avec les influences grecques et asiatiques que la cuisine va changer en se diversifiant et en gagnant en qualité. Ces découvertes poussèrent très vite toutes les grandes maisons romaines à se munir d’un personnel adapté à leurs nouvelles découvertes culinaires. Il existe des aliments qui n'ont jamais perdu la préférence des romains, le premier d'entre eux étant sans conteste l'huître blanche dont on retrouve constamment les coquilles lors de fouilles archéologiques.

Parmi les principales fonctions de cuisine existe l’archimagirus, l'équivalent antique de notre chef, assisté par le vicarius supra cocos, son second qui avait sous ses ordres les cocis ou marmitons. L'une des missions culinaires que l'équipe se fixait était de reproduire le goût ou la saveur d’un aliment sans l'utiliser lui-même. Ainsi Apicius nous a-t-il laissés une recette de " poisson salé sans poisson salé " qu’il a conclu par ces mots, " personne ne reconnaîtra ce qu’il mange " ! A chacun donc le soin de tester ses papilles. La présentation du plat avait une grande importante, les Romains savaient employer des colorants, bien sûr naturels, comme le sirop de figue ou le safran et ils s’évertuaient à élever de superbes pièces montées ou à reconstituer les oiseaux entiers, avec la tête ou les plumes après les avoir farcis. " Leur esthétique culinaire comporte une association voulue de la saveur et du parfum à laquelle seuls les orientaux sont encore habitués de nos jours " a jugé André, un spécialiste de la cuisine romaine.

Le rapport des romains à l’art culinaire n’est cependant pas exempt de questionnements. En effet, les excès de certaines grandes familles ou de personnalités telles que Vitellius, empereur surtout célèbre pour ses goinfreries, étaient condamnés selon les époques par les philosophes ou l’opinion publique. Les fameuses orgies romaines ont bien existé puisque nous gardons trace de menus comprenant jusqu’à huit services de viandes et de poissons ! Mais ce n’était le cas que des romains privilégiés et non pas de la population dans son ensemble.

C'est ainsi qu'un certain nombre de lois ont été promulguées contre le luxe de la table, interdisant pour des raisons morales ou économiques la viande ou les vins étrangers. Apicius, qui a été un contemporain de Sénèque a largement encouru les foudres des stoïciens et André affirme qu’" hormis l’institution du carême, le christianisme , dans ses anathèmes contre la bonne chère, ne fera que reprendre un thème de la philosophie païenne. " Sénèque, dans le texte qu’il a écrit pour sa mère, tient ainsi des propos particulièrement sévères par rapport à ses contemporains : " Ils vomissent pour manger, mangent pour vomir et ne daignent même pas digérer ces festins qui ont mis à contribution la terre entière. " Une perception personnelle qui réduit l'art culinaire à l'anorexie permanente! Quant à Apicius, il " tint école de gourmandise et infecta le siècle de ses leçons " a écrit Sénèque. Bref, la perception de la cuisine romaine par certains de ses contemporains n'avait rien d'un art et presque tout de barbare dans une civilisation qui se voulait raffinée et évoluée.