Naissance du fantastique européen

Selon les auteurs critiques, on peut faire remonter l'apparition du fantastique à différentes époques, selon qu'on le définit plus ou moins strictement mais les premiers récits où se mêlent de façon étrange le rêve et la réalité, le surnaturel et le naturel, datent du XVIIIe siècle, en France avec Cazotte mais surtout en Grande-Bretagne avec le roman noir, le roman gothique et enfin, à la toute fin du XVIIIe, Frankenstein de Mary Shelley. Nous n'aborderons qu'ensuite l'Allemagne et les Contes d'Hoffmann.

En France, la première apparition du fantastique s'illustre donc à travers l'oeuvre de Cazotte (1720-1792), Le diable amoureux. Cet auteur peut être considéré, avec ce court roman, comme le créateur du genre, quoique l'ambiance surnaturelle y soit peu développée, l'auteur n'a en effet aucune intention de susciter la peur ou l'angoisse chez ses lecteurs comme ce pourra être le cas plus tard. L'intérêt pour lui est l'histoire d'amour de son jeune héros avec une sylphide, Biondetta, dont on ne saura jamais s'il s'agissait d'une créature de songes ou d'une véritable jeune fille. L'auteur se concentre donc sur la peinture psychologique des sentiments du jeune homme. Cazotte influencera cependant fortement Nodier, quelques décennies plus tard.

Dans la seconde moitié du XVIIIe, le roman gothique et ses apparitions surnaturelles se développe en Grande-Bretagne. Ce genre nouveau semble être une réaction au réalisme effréné des romanciers de l'époque (Daniel Defoe et son Robinson Crusoë par exemple) et en 1764, Walpole fait paraître Le Château d'Otrante, que suivront les oeuvres d'Ann Radcliffe et Le Moine de Lewis. "Le roman gothique développe dans le public un goût pour des apparitions horrifiantes et des mises en scène paroxystiques."3 Spectres, fantômes, créatures éthérées se croisent dans ces romans et c'est surtout l'ambiance inquiétante, les décors sombres qui permettent de faire du roman gothique la préhistoire du genre fantastique.

A la limite des XVIIIe et XIXe siècles, parait Frankenstein, le chef d'oeuvre de Mary Shelley, épouse du poète Percy Shelley et belle-soeur de Byron chez qui nous trouvons aussi ces atmosphères inquiétantes. La naissance du fantastique est inséparable de celle du romantisme dans une oeuvre comme celle-ci tout comme dans celles d'Hoffmann. La création et la vie du monstre sont surtout l'occasion de réflexions sur la nature humaine. Le monstre, que nous connaissons si bien aujourd'hui, est un être effrayant, il est vrai, mais surtout il est plein de dégoût pour sa propre existence, ce qui le pousse au crime. Ses pérégrinations et celles de son créateur à sa poursuite sont l'occasion de descriptions magnifiques des Alpes ou des contrées glacées du Nord. La peur est bien présente et même l'effroi à certains moments mais ici comme chez Cazotte, l'existence d'un être surnaturel est surtout l'occasion de présenter l'humanité sous un nouveau point de vue et de la mettre en question. Si l'ambiance de ce roman annonce celles des productions fantastiques françaises, on ne peut cependant pas ériger Frankenstein comme monument représentatif du fantastique. C'est dans la forme courte du conte, et cela chez Hoffmann que nous allons trouver le véritable modèle du fantastique français du XIXe.